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Être sage est-ce accepter tout ce qui nous arrive ?

Le 17 mai 2024
Être sage est-ce accepter tout ce qui nous arrive ?
Être sage est-ce accepter tout ce qui nous arrive ? L’existence est aussi faite d'événements inattendus que nous aurions préféré ne pas vivre . Comment se comporter face à eux ? Faut-il les recevoir? Vaut-il mieux se révolter ?

Être sage est-ce accepter tout ce qui nous arrive ?

Ruptures, maladies, deuils… L’existence est aussi faite d'événements inattendus que nous aurions préféré ne pas vivre .

Comment se comporter face à eux ?

Les recevoir ?

Se révolter ?

D'ailleurs, que signifie accepter ce réel qui ne dépend pas de notre volonté ?

Se libérer du fatalisme

L'acceptation n'est pas la soumission passive et la résignation. Ce n'est pas forcément être d'accord avec tout ce qui nous arrive : c’est reconnaître que cette chose-là nous arrive et en prendre la mesure. Quant à la sagesse, c'est une vertu, une qualité morale qui permet de poser un regard lucide sur la condition humaine. Elle est l'objet même de la philosophie : le philosophe est l'ami de la sagesse . Se comporter en philosophe ce n'est pas se dire : « Bof ! C'est comme ça ! ». C'est au contraire adhérer pleinement à une réalité comprise et assumée. La résignation est triste, c'est céder devant les faits; l’acceptation est joyeuse, car elle va de pair avec le désir de connaître, de savoir. Elle est une force qui permet d'affronter les événements sur lesquels nous n'avons pas de prise. Le philosophe Épictète a écrit « Ne demande pas que les choses arrivent comme tu veux. Mais veuille qu'elles arrivent et tu seras heureux ».

La sage acceptation nous invite également à réfléchir le plus justement possible pour agir au moment opportun. Elle nous installe en quelque sorte dans la peau du soldat au combat qui doit exercer son intelligence pour sortir vivant. Et qui, dans ce but, doit analyser tous les éléments dont il dispose. Il s'agit de danser avec le réel, de se donner des moyens de changer le cours des choses. Lorsque nous sommes malades, accepter la maladie avec sagesse ce n'est pas se coucher et attendre la mort en fataliste. C'est au contraire tenter de comprendre comment pourquoi elle touche notre corps et trouver le remède adéquat. Montaigne qui fut confronté à plusieurs épidémies de peste, conseillait d'affronter le danger avec « nonchalance » et courage, car comment aimer la vie si nous n'acceptons pas son but ultime ? Nous ne pouvons pas faire qu'il n'y ait pas d'épidémie de coronavirus, mais nous pouvons user des moyens pharmaceutiques et protecteurs pour nous en prémunir. Nous ne pouvons véritablement influer sur nos pensées, mais nous devons aussi faire de notre mieux pour changer le cours des choses, préconisait Descartes.

Influencé par la pensée stoïcienne, Nietzsche nous convie à aimer le destin, à nous en réjouir . Il s'agit là de nous libérer du fatalisme du « à quoi bon ? », de ceux qui ploient sous le fardeau de l'existence. Il compare d'ailleurs cette vision passive de la vie à une maladie affectant notre « volonté de puissance », « notre vouloir vivre » . Le fatalisme serait une sorte d'anémie psychique. Pour lui, il convient d'accepter le réel tout entier, avec les peurs, le chaos qui en fait partie : ce qu'il appelle le « gai savoir ». Selon Nietzsche, le malheur des hommes est de ne pas saisir que la douleur et le mal-être sont indissociables de l'existence. Inutile de chercher à les supprimer. Il faut au contraire les prendre à bras le corps et les regarder en face. Sans cela, nous ne pourrons que nous sentir exilés sur cette terre.

S'abstenir de désirer

L'antithèse de la philosophie affirmative de Nietzsche est celle de Schopenhauer, remplie de ressentiment, d'amertume, de rancœur. Découvrant le bouddhisme à 25 ans, il en retiendra surtout que désirer fait mal et qu'il est préférable de s'en abstenir. Echaudé par des chagrins d'amour, il ne cherche pas à comprendre pourquoi il a été rejeté ; il devient misogyne. Il dépeint les femmes comme « puériles, futiles, faites pour se tenir à l'écart, comme des miroirs elles réfléchissent mais elles ne pensent pas ». Le bouddhisme nous invite à prendre conscience de l'impermanence des choses, à ne pas nous y attendre, à lâcher prise, car la vie est l'acceptation de ce qui est . Schopenhauer, à l'inverse, a vécu en éternel insatisfait. Son ouvrage princeps, Le monde comme volonté et comme représentation, est sans doute l'une des œuvres les plus déprimantes qui soient. Il ne nous conseille pas de renoncer à la vie ou de nous révolter : la rage de Schopenhauer est telle qu'elle ne peut que mener à l'impuissance, à l'inaction.

Et s'il fallait se rebeller ?

Or il est parfois sage et nécessaire d'oser se révolter. C'est l'option d'Albert Camus. Selon l'auteur de l'Homme révolté, la révolte est le seul moyen de vivre, de s'affirmer dans un monde absurde. Le révolté dit « non », mais il sait aussi dire « oui ». Il est sans haine ni mépris, mais s'il a perdu patience et a décidé d'agir. Soucieux de sa liberté et de celle d'autrui, il ne veut pas changer le monde comme les révolutionnaires, mais transformer la vie et le regard porté sur l'existence.

Lorsqu'il écrit Le mythe de Sisyphe, ce héros mythologique condamné par les dieux à pousser éternellement son énorme rocher jusqu'au sommet d'une montagne, qui sans cesse retombe, il a en tête les difficultés, les désillusions, les échecs inhérents au fait de vivre. Il pense aussi aux ouvriers contraints à des tâches répétitives, ingrates. Aussi Camus nous invite à imaginer Sisyphe heureux malgré son terrible châtiment . « Je vois cet homme redescendre d'un pas lourd mais égal vers le tourment dont il ne connaîtra pas la fin. » . Parce qu'il ne renonce jamais, ce héros devient « supérieur à son destin ». Il a conscience de sa condition tragique, irréversible, et en cela il reste le maître de son existence. « Toute la joie silencieuse de Sisyphe est là, sa vie lui appartient. Son rocher est sa chose »

La sagesse, ne l'oublions pas, emporte avec elle l'idée d'une intelligence pratique : le sage est quelqu'un qui sait ce qu'il doit faire face à toutes ces choses qui surviennent sans qu'il les ait voulues. En ce sens, dès lors que nous cessons de nous plaindre, d'espérer passivement des changements qui peuvent ne peuvent venir que de nous et prenons notre vie en main, nous pouvons tous devenir des sages. Ce qui n’exclut pas des moments de colère et de découragement. Nous sommes humains.

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